L'ampleur du scandale fait frémir : le site BADOO.COM avec son interface anodine et ses visées innocentes serait devenu depuis mai 2008, à l'insu de ses créateurs, un site expérimental des services secrets français qui en auraient pris le contrôle dans le but d'établir une vaste base de données sur les citoyens.
Rien que cela. Alors, rumeur ou réalité ?
Enquête.
Internet avec ses facilités d'usage et ses potentialités exceptionnelles a engendré une pléthore de sites gratuits à vocation sociale. Parmi les plus fameux citons BADOO.COM... Qui serait au centre d'une incroyable affaire de Watergate informatique à la française !
L'histoire pourrait faire sourire... Pourtant, à entendre certain anciens collaborateurs des services secrets du gouvernement français (étrangement bien informés), la chose serait loin d'être aussi fantaisiste qu'elle n'y paraît. Au contraire, il y aurait tout à gagner à ce que le loup opère sous des dehors ingénus. C'est bien connu, la farce est l'amie du drame et l'on sait depuis la genèse de "l'art de la manipulation des masses" mis en pratique lors de la Guerre Froide que les espions les plus avertis arborent toujours des allures farfelues.
Interrogés par nos confrères belges du MATIN et dans la foulée par le FIGARO (ce dernier prenant le relais du MONDE devenu beaucoup plus frileux dés lors que certains sujets ont été abordés au cours de l'investigation), certains témoins se sont rétractés, d'autres ont réitéré leurs allégations.
Tous ont souhaité demeurer anonymes.
L'intérêt de constituer une base de données policière ou/et politique comportant des informations sur des centaines de milliers de citoyens à partir de simples adresses IP est double. Et de premier ordre. Nul ne peut le nier, pas même ceux qu'on soupçonne de vouloir franchir le pas.
Intérêt économique d'abord : créer un tel fichier sans passer par les procédures légales habituelles qui impliqueraient de lourdes, fastidieuses, coûteuses opérations administratives pour un résultat somme toute assez léger (la protection de la vie privée du citoyen interdisant toute récolte ou gestion d'informations dites "arbitraires"), c'est aller à la pêche miraculeuse.
Intérêt policier surtout : quel plus "merveilleux" outil de surveillance et de contrôle de l'individu, de la société, des populations que l'informatique appliquée ?
Problème : si sur ce genre de site chacun peut choisir de décliner sa véritable identité, rien n'interdit à l'internaute qui ne souhaite laisser aucune trace nominative sur la toile de s'inventer noms, prénoms, adresses imaginaires.
Mais ce serait sans compter sur les adresses IP.
Grâce aux adresses IP, recoupées selon les cas avec d'autres informations plus empiriques qui y sont logiquement associées (tels que les pseudonymes pris sur BADOO.COM), les services secrets français seraient en mesure de fournir au gouvernement Sarkozy les moyens de ses ambitions sécuritaires...
Mais tout cela pour aboutir à quoi dans le concret ?
En quoi la création de cette base de données aiderait les services de l'État à renforcer ses structures politico-policières ? En admettant que ces bruits inquiétants soient fondés, les informations récoltées depuis le site BADOO.COM seraient-elles exploitables par les services secrets si l'on considère le peu de fiabilité, voire le caractère saugrenu de ces archives individuelles émanant d'un espace de rencontres où tout est nécessairement déformé, embelli, voire purement et simplement inventé ?
Ces données brutes associées aux adresses IP sont-elles sérieusement décortiquées, archivées depuis six mois par nos services secrets ?
Oui affirment la plupart de ceux qui, bien informés, ont eu accès un jour dans leur carrière au saint des saints de la sécurité informatique des SSF... En aucun cas prétendent les autres, une minorité certes mais apparemment beaucoup mieux renseignés, semble-t-il, de par leur situation hiérarchique et stratégique.
Bref, qui croire ?
Plaisanterie ou réalité, gageons que la nouvelle ne sera pas pour rassurer les anonymes inscrits sur BADOO.COM qui pour le coup risquent de ne plus l'être du tout (au moins pour l'administration policière), pour peu que l'information soit authentique et même plus vraie que nature...
Méfiance, tel doit être ici le maître-mot. En effet, on a déjà vu par le passé et bien avant la naissance d'Internet que ce genre de "blague" pouvait n'être finalement, tout simplement et tout bêtement que... La réalité.
Pierre H. pour "Ouest France"